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Interview sans filtre avec Hervé Hague. Ensemble nous avons travaillé en atelier et sur différents courts-métrages avant l’étape d’un long, à venir. Il nous parle de son spectacle dont il est l’auteur et l’interprète : Objets inanimés avez-vous donc une âme ? un texte stupéfiant qui plonge le spectateur dans un univers insolite, entre Jacques Tati et Isaac Asimov.

 

Hervé Hague revient également sur son parcours, au théâtre, au cinéma, et se livre en toute liberté sur le métier d’acteur.

 

 

Comment est venue l’idée de ton spectacle ?

 

C'est une idée qui est assez ancienne mais qui a mis longtemps à se développer, à mûrir, parce que j'ai toujours eu le sentiment d'être obligé de lutter contre les objets, de me battre contre les obstacles, les embûches, les pièges de la vie matérielle. J'ai eu aussi de plus en plus conscience du temps qu'on y passe dans notre vie, alors que ce sont des activités qui ne m'intéressent absolument pas, et tout ça, c'est du temps qui est pris sur les choses qui m'intéressent. J’ai eu le sentiment que c'était un problème de plus en plus important dans ma vie. C'est quelque chose qui m'a taraudé de plus en plus et j'ai eu envie d'en parler. J'ai eu envie d'abord d'écrire là-dessus et puis après, ça s'est transformé en idée de spectacle,

 

Au départ, il y avait une volonté d'écrire, d'expliquer ce que je ressentais ; pourquoi ce n'est pas seulement, comme on pourrait le croire d’abord, une névrose, ou une psychose, ou je ne sais quoi, mais surtout qu’il y a des éléments objectifs, des faits : l’examen de la réalité prouve que la vie matérielle est très asservissante et qu'elle prend, à mon avis, une place complètement disproportionnée dès lors qu'on a envie de faire autre chose. Il y a des gens que ça ne gêne pas du tout parce qu'ils n'ont pas d'autre besoin, ils peuvent être heureux comme ça. Mais quand on a des besoins, je dirais purement intellectuels et émotionnels, quand on veut pouvoir garder un temps suffisant pour ces choses-là, on est confronté à l'envahissement des choses matérielles. Et encore, si les choses matérielles se passaient bien, ça irait, mais elles ne se passent pas bien ; elles obligent à une concentration permanente. Il ne suffit pas de dire : "je vais m'occuper des choses matérielles", il faut y apporter toute son attention, sinon ça se passe mal, et donc ça prend encore plus de temps et c'est encore plus pénible.

 

Donc, j’avais envie d'écrire là-dessus et après d'en parler au public sur scène. Mais évidemment, pour pouvoir communiquer avec les gens, il ne faut pas parler directement de soi, parce qu’au bout d'un moment, ça casse les pieds à tout le monde. J’avais envie que les gens se sentent concernés, parce qu'en fait, moi, je pars de l'observation de la vie quotidienne, de ce que tout le monde vit. Mais on ne le ressent pas forcément de la même façon, et pour intéresser le public, il ne faut quand même pas être trop austère, sans chercher à rivaliser avec les professionnels de la farce. Je voulais trouver une forme suffisamment légère pour qu’un spectacle sur un tel sujet ne soit pas ennuyeux.

 

Comment as-tu procédé pour l'écriture ?

 

Je commence à noter tout ce qui me passe par la tête, donc je noircis des pages puis après, j'essaie de faire le tri, de structurer. Ensuite je me lance dans l’écriture. La première version était beaucoup trop longue et littéraire pour pouvoir en faire un spectacle. L'essentiel du travail, ça consistait à reformuler pour que ce soit à la fois léger, digeste, facilement compréhensible, assez distrayant et que ça ne dure pas trop longtemps. La capacité d'attention des gens, comme la mienne, est limitée; je sais que dans un spectacle on peut facilement décrocher. Donc, dans la réécriture, il y a eu tout cet enjeu de trouver la bonne forme, le bon contenu, le bon rythme et la bonne durée. A l’arrivée, c’est un spectacle d’une heure, mais même dans cette heure, pour que les spectateurs restent attentifs, il faut vraiment faire attention : pas seulement sur le contenu, mais aussi la théâtralité de la forme, il faut des enchainements, des relances. On doit tout le temps aller chercher le spectateur.

 

 

Ce personnage qui porte ton nom, est-ce que c'est ton double ?

 

C'est une espèce d'exagération de moi-même ; je pars de moi-même, je ne le cache pas, mais je ne suis pas non plus comme ça dans la vie ; je suis parti de moi, et puis j'ai grossi le trait. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est une caricature de moi-même, parce qu’une caricature, ce n’est pas vrai, une caricature c'est tellement exagéré qu'on on n'est plus dans le vrai, mais c'est quand même une exagération de ce que je suis. Mais tout ce que je dis, quand même, je le pense ou je le ressens. Je peux exprimer tout cela dans un texte, et le format du spectacle permet cette liberté dans mon comportement et dans la façon de dire les choses.

 

 

Christine Soldevila fait la mise en scène, peux-tu me parler de votre collaboration ?

 

Comme dans les expériences précédentes avec Christine, c'est un travail qui est fondé sur l'exigence. Il y a une exigence dans les qualités techniques de l'acteur et dans l'intensité des émotions. Il n’y a pas d’à peu près, il faut que les choses soient précises. Il faut comprendre où elle veut emmener l'acteur. Et par moments c’est difficile car c'est un texte que j'ai écrit. J’ai pu avoir des réticences à aller là où elle voulait m'emmener. J’avais l'impression que ce n’était pas conforme à ce que j'avais écrit. Et puis finalement, il faut s'abandonner, il faut avoir confiance et elle permet de sublimer les choses.

 

A l'intérieur de cette direction qu'elle donne, il faut faire des propositions, trouver sa propre liberté, parce qu'elle attend ça aussi. Il faut faire un travail personnel de préparation intense. Pour pouvoir répéter efficacement avec Christine, ce n’est pas possible de chercher son texte. Il faut l'articuler suffisamment bien et donc l'avoir en bouche. La majeure partie des obstacles techniques de base doit être réglée en amont pour qu'on puisse travailler, aller vers cette exigence qui est la sienne. D’autant qu’elle a envie de voir tout de suite ce qu’elle imagine, et moi je ne suis pas forcément capable de lui donner tout de suite ; je dois travailler.

 

 

Tu as fait récemment une résidence à Avignon, c'est la dernière ligne droite avant les représentations ?

 

La résidence nous a permis de mettre en place, de tester, de régler, d'ajuster les trouvailles scénographiques de Christine. Maintenant, on en est à la création de la lumière. C’est important parce qu’elle va permettre d'améliorer certaines transitions. Ensuite, on va présenter notre travail aux directeurs de salles. C’est un spectacle sur un thème particulier qui, à ma connaissance, n'a jamais été traité sous cet angle. C’est un texte qui peut faire réfléchir ceux qui en ont envie, mais on peut aussi le prendre comme un divertissement. Toutes les formulations que j'ai employées sont compréhensibles par le plus grand nombre. Et si jamais certains mots ne sont pas connus de tout le monde, je m'arrange pour les expliquer clairement dans le spectacle. Il est accessible à tous.

 

 

 

Atelier Acte 1 (2010)

 

 

Pour aborder ton parcours d’acteur, comment as-tu démarré ?

 

J'ai toujours eu des envies de théâtre et de cinéma à partir de l'amour des textes, mais j'ai découvert que le jeu d'acteur, ce n'est pas que d’aligner des répliques, il y bien d'autres choses… des situations, des personnages. Il y a des êtres humains qui se retrouvent dans des situations et du coup qui, à certains moments, disent de très belles choses. Je voulais voir, en m’inscrivant dans un atelier théâtre et cinéma, comment je pouvais m’en sortir, J’ai abordé en même temps la scène et la caméra en parallèle, c’est d’ailleurs ce que tu préconises dans ton livre : Face à la caméra ou la vérité de l’instant. Dès le début. J'ai appris à faire fonctionner l'interrupteur théâtre et l'interrupteur cinéma. On n'utilise pas les mêmes techniques, et donc il faut prendre l'habitude de passer de l'un à l'autre.

 

 

Comment se sont déroulés tes premiers tournages ?

 

Au début, j'ai fait mes premiers films pour me rôder, des rôles bénévoles dans des courts-métrages amateurs – enfin, parfois, ils ne se voulaient pas amateurs, mais en réalité, ils l'étaient. Ça m'a permis de découvrir la psychologie des gens de ce milieu et d'apprendre sur le terrain. C'est important d’être plongé dans un tournage car on se rend compte de tous les aspects matériels qui sont très importants. C'est vraiment une aventure collective. Le tournage, c'est d'abord et avant tout un groupe. L'acteur n'est pas à part, il n'est qu'un maillon de la chaîne. En ça, c'est assez différent du théâtre parce qu’une fois que le rideau est levé, on est lâché sans filet. Et même si le metteur en scène a fait un beau travail, c'est l'acteur qui porte tout pendant une heure ou plus.

 

Au cinéma, il faut que tous les paramètres fonctionnent, que chacun fasse bien son boulot. L’acteur est un des paramètres parmi les autres ; c'est plutôt la qualité du réalisateur qui va réussir à mettre en œuvre toute cette machinerie collective au service de sa vision. Pour conserver mon intermittence, je n’ai pas hésité à faire de la figuration. C’est parfois ennuyeux mais il y a aussi des figurations passionnantes. Quand on a la chance de participer à des tournages importants avec des réalisateurs de talent, il y a mille choses à observer. C'est très formateur parce qu’après, on prend de bonnes habitudes ; ne serait-ce que de se situer dans un espace cinématographique, voir où l’on est par rapport à la caméra. Où est-ce que ça tourne ? Quels vont être les angles ? Est-ce que je suis dans la lumière, ou dans l'ombre ? Si je suis loin ou près, je ne fais pas la même chose par rapport à la consigne qu'on m'a donné. Si on m'a demandé de faire semblant de parler dans un groupe de personnages et que la caméra est au bout de la pièce, dans un plan large, il faut donner de la vie donc on en fait un peu plus. On ne doit pas voir le figurant, mais il faut quand même qu'il y ait de la vie, donc on est loin, les spectateurs sont focalisés sur le comédien ou là comédienne, on est dans le fond, mais il ne faut pas que ça donne un sentiment figé. Lorsque la caméra est proche, on doit au contraire être d'une grande sobriété, parce que sinon on risque de parasiter la prise de vue si on bouge trop. On apprend donc à exister par rapport à l'endroit où se situe la caméra. Ça paraît tout bête mais, entre celui qui débarque sur un plateau sans avoir jamais expérimenté ça, et celui qui l'a expérimenté et qui le fait d'instinct, vous avez déjà une grande différence.

 

 

Comment abordes-tu les castings ?

 

Mieux, ou moins mal. Je trouve que le casting, c'est beaucoup plus stressant que de tourner ou de jouer avec un vrai public, parce qu’on est là pour être sélectionné. Dès lors qu'il y a sélection, il y a une montée d'anxiété. En fait, il y a un cercle vertueux qui se crée quand on a un peu démarré, que l’on a son intermittence. On n’a plus le couteau sous la gorge avec les nécessités de la vie quotidienne, parce que si on se dit : « faut absolument que je décroche ce casting, sinon je ne vais pas payer mon loyer », dans ce cas-là c'est sûr qu'on le rate. Trop de tension… on est tétanisé, on a trop de choses en tête, et donc c’est difficile d’être complètement libéré, dans son personnage, dans la situation.

 

Maintenant, j’aborde les castings de façon plus décontractée en me disant qu’il n’y a pas autant d’enjeu – donc, je prends plus de plaisir. J’y vais avec plus de philosophie et de recul, et si ne n’ai pas le rôle, tant pis. Je passe du temps à me préparer, mais on doit être complètement adaptable. Je ne m'attends jamais à ce que le directeur de casting demande. Il n’y a pas de comportement type des équipes de casting, on rencontre des gens qui suivent ce qu'ils ont demandé en amont, et ceux qui vous font faire totalement autre chose. Il y a ceux qui vous demandent simplement d'avoir bien appris le texte, d'autres qui vous font faire une lecture. Parfois on demande plusieurs versions de la scène, parfois non. On tombe sur des directeurs de castings qui donnent des indications, d'autres non. Je dirais que la préparation pour un casting doit viser à être à l'aise. On doit maîtriser suffisamment le sujet pour être à l'aise avec ce à quoi on ne s'attend pas. Si on est trop rigide et qu'on dit : « j'ai préparé ça et je m’y tiens », on a de fortes chances, qu'en réalité, on vous demande autre chose. Il faut bien maîtriser pour pouvoir s'adapter.

 

 

Un mot sur les self-tapes ?

 

Je comprends pourquoi les self-tapes se sont répandues. Elles permettent de faire des économies, c'est moins cher que de louer une salle et de recevoir les acteurs pendant des jours. Il y a aussi un effet générationnel ; les nouveaux venus, acteurs comme casteurs, ont plus l'habitude de se filmer que des gens de ma génération. Personnellement, je n'aime pas ça, parce qu’il y a tout cet aspect matériel des choses. Il faut avoir un minimum d’équipements, un matériel qui soit suffisant sur le plan technique, parce qu’il ne faut pas se leurrer, ça compte. Sur les annonces, on dit qu’un smartphone suffit ; en réalité, si on a du matériel de meilleure qualité, plus qu'un smartphone basique, on a quand même plus de chance de réussir. Il faut pouvoir être suffisamment à l'aise avec le maniement de tout ce matériel pour ne pas être trop perturbé par rapport au jeu. Si on est trop accaparé par la technique, je ne vois pas comment on peut être à l'aise pour interpréter un personnage.

 

Et donc le mieux, c’est d’avoir quelqu'un avec soi, en réalité. On vous dit qu'on peut se débrouiller tout seul, mais c'est quand même un avantage si on a quelqu'un avec soi qui vous décharge du souci technique et qui vous donne la réplique quand c'est nécessaire. Je comprends la problématique des coûts et la problématique générationnelle, mais ça correspond quand même au transfert d'une quantité de travail des professionnels chargés de la sélection sur les candidats. Au bout du compte, c'est à ça que ça aboutit. Ça change aussi la donne. Il y a des acteurs à l’aise en self-tapes qui n’auraient pas forcément été pris en casting direct, et inversement.

 

 

 

Les petits meurtres d’Agatha Christie – Le couteau sur la nuque (2011)

 

 

Est-ce que tu peux me parler de ton expérience sur Les petits meurtres d'Agatha Christie ?

 

Ah ça, c'est un beau souvenir, et en plus, c'était le dernier épisode de la première saison. Ça s'appelait : Le couteau sur la nuque. Avec Marius Colucci, le fils de Coluche, Antoine Duléry, et j’ai eu la chance d'être le partenaire de Maruschka Detmers qui a fait une très belle carrière, qui est une grande comédienne. Le tournage était évidemment très professionnel, avec une grosse équipe, mais c’était vraiment agréable. J’ai eu la chance de tomber sur des acteurs et des actrices bienveillants, ils ne m’ont jamais mis mal à l'aise.

 

J'ai le souvenir presque ému d’une mise en place difficile pour une séquence. On n'était pas du tout au point. Et Duléry s'est adressé à tous ses partenaires qui étaient dans la séquence, et dont je faisais partie : « On va tout mettre à plat parce que là on n'est pas au point. » Donc, on a pris des chaises, on s'est mis en cercle et on s'est fait des italiennes. Puis après les italiennes avec intention, on a discuté et essayé diverses pistes, on a fait et refait. Ensuite, il est allé voir le réalisateur pour lui faire part des propositions, et puis voilà : la séquence s’est mise en place de cette façon. J'ai beaucoup apprécié cette simplicité. Donc, petit rôle ou pas, tout le monde est dans le même bateau.

 

 

 

Teaser N37 (2016)

 

 

Tu as obtenu le rôle principal sur le film N37 que je vais coréaliser avec Christine Soldevila, qui est à l'origine du scénario. Comment te prépares-tu ?

 

C’est un rôle qui demande un investissement particulier. Ce personnage, Jean Dewaele, un garagiste à la vie toute tracée, se retrouve, du jour au lendemain, au cœur d’un drame et tous ses repères volent en éclat. Il est à la fois anéanti par la mort de son fils – et plus encore lorsqu’il apprend que celui-ci a commis quelque chose de terrible, juste avant l’accident…

 

Je pense beaucoup à ce personnage. Je ne sais pas quand le film va se tourner, mais il est très présent. Depuis qu'on a fait le teaser, il m'habite. Ce personnage me fait peur mais j'ai très envie de l'interpréter. Il me fait peur parce qu’il faudra aller chercher des émotions très fortes. Je sens qu'il y a encore des choses au plus profond de moi-même à déverrouiller. Et c'est vraiment une préoccupation que j'ai, et souvent. Alors, je me dis : « Voyons, qu'est-ce que je veux ressentir dans cette situation, comment je vais pouvoir l'exprimer ? Comment est-ce que je vais faire pour être à la fois fort et de pas dépasser la limite ? » Comment éviter ce qui pourrait être grotesque et l'exagération ? C’est cela ma vraie préoccupation : comment vais-je trouver et exprimer le bon ressenti, la bonne émotion et la faire partager.

 

C'est vraiment un personnage de composition parce que, évidemment je n’ai jamais vécu la perte d'un enfant. Dans ma vie personnelle, j'ai perdu un petit bébé qui avait huit jours, donc c'est pas du tout pareil. Là, il s’agit d’un fils de 18 ans. Comment est-ce qu'on vit ça ? Et puis qu'est-ce qu'on peut éprouver quand on découvre que son enfant a commis quelque chose d’aussi grave ? C'est présent en arrière-plan, tout le temps, plus ou moins consciemment, et je pense que c’est la meilleure préparation. Évidemment, il y aura une autre implication avant le tournage proprement dit, avec des répétitions, donc là, ce sera une préparation directe, mais tant qu'on n'en est pas à cette étape, la meilleure des préparations, me semble-t-il, c'est de ne jamais oublier.

 

 

Pour finir, que conseillerais tu à un acteur, quel que soit son âge, qui veut se lancer en 2022 ?

 

D'abord, de ne pas écouter les interviews d'acteurs telles qu'on les voit dans la plupart des émissions, les vidéos et cetera. Beaucoup de ceux qui s’expriment sont déjà arrivés. Ils avaient déjà fait tout un travail en amont dont ils ne parlent pas. Sauf évidemment si c'est Monsieur fils de ou Madame fille de… Laissons ça de côté. Quand ils disent : « j'étais sur un plateau, et puis j'ai rencontré tel réalisateur, il a vu ma prestation et ça l'a intéressé. » Ou bien alors : « je me trouvais par hasard à tel endroit… » Tout ça, ça fait partie du rêve, de la machine à rêves.

 

Dans la réalité, la plupart des gens qui, à un moment donné, ont une opportunité, c'est parce qu’ils ont ramé longtemps avant. A force de ramer, un jour, ils ont fini par être au bon endroit au bon moment. Mais il ne faut pas s'imaginer qu’il faut compter sur la chance, c'est pas le loto, c'est pas la loterie. Donc, n'écoutez pas trop les interviews d'acteurs et d'actrices qui enjolivent la réalité. En général, ils ne parlent pas de toutes les années de galère… parce que la galère, ça fait pas rêver. Et dans les médias, on enjolive tout. Dites-vous que c'est un métier, comme tant d’autres, où il faut être persévérant. D'abord, il y a des choses à apprendre. Il y a des techniques à connaître, alors on va toujours citer le cas d’untel ou d'une telle qui ne sont pas acteurs et qui ont réussi sans formation. Ça, c'est l'arbre qui cache la forêt. Ce sont des exceptions.

 

A part quelques individus particulièrement géniaux, le comédien ordinaire - c'est comme ça que je me définis - il bosse et il doit travailler sa technique, apprendre des choses, les répéter jusqu'à ce que ça rentre. Et puis après, il faut pratiquer pour avoir de l’expérience. Et ça ne suffit pas toujours. Il ne faut pas se décourager, il faut insister, insister, insister. Être tenace et souvent entêté. On doit aussi obtenir du plaisir dans ce métier. Parce que c'est ça qu’on vise. Mais pour en arriver là dans un métier artistique, il faut d'abord en baver. On doit accepter de passer par là, même si c'est ingrat. Quand vous voyez des pianistes ou des musiciens, par exemple, qui expriment des sentiments, des nuances ou des choses extraordinaires avec leurs instruments, ils sont peut-être très talentueux, mais ils ont passé des années de travail acharné où ils n'ont fait que ça. Je ne dis pas ça pour décourager, je le dis simplement pour que ceux qui souhaitent devenir acteurs ne vivent pas dans l'illusion. Ce n’est pas facile et ça ne ressemble pas à ce qu'on voit à la télé ou dans un certain nombre de vidéos sur les réseaux sociaux.

 

Comédien, c'est quand même d'abord et avant tout une exigence. Et quand on arrive à maîtriser cette exigence, on éprouve une intense satisfaction. Et puis il ne faut pas vouloir être comédien pour des mauvaises raisons… avoir un rapport trop fort à son ego. Il est clair que si on veut être acteur, c'est parce qu’on a envie de se montrer aux autres, il ne s'agit pas de le nier, c'est évident. Mais s'exposer aux autres, ce n’est pas toujours confortable ; c'est aussi montrer sa vulnérabilité et se mettre tout nu. On montre alors une face de soi qui n'est pas toujours belle et qui peut être déplaisante. On ne doit pas craindre de se montrer comme on est. On ne montre pas une illusion de soi-même. Et puis, on ne doit pas se laisser piéger par une recherche de célébrité à tout prix. Il y a une vraie différence entre la célébrité. – comme le fait d'être reconnu dans la rue ou d'être en Une des journaux, ou de passer dans des émissions de télé ou sur les réseaux sociaux –, et la reconnaissance, quand un public vous applaudit parce qu'il est heureux. Ce qu'il faut viser, c'est cette reconnaissance et non pas la célébrité.

 

Paris, le 28 11 2022

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