Présentation du spectacle
Voyage au bout de l'enfer matériel... et immatériel !
Je me suis toujours étonné de la faible place que les aspects les plus triviaux de la vie matérielle tiennent dans les oeuvres historiques, littéraires, théâtrales et cinématographiques, alors qu’ils occupent une part si conséquente de notre quotidien, et influencent tant de nos comportements et de nos décisions.
La simple satisfaction de nos besoins physiologiques les plus élémentaires occasionne chaque jour une activité importante par l’utilisation de multiples objets et l'accomplissement de nombreuses tâches ingrates, activités qui consomment un temps et une énergie considérables, paraissant d’autant plus grands qu’elles sont ennuyeuses. Mais si elles n’étaient qu’ennuyeuses ! Ces activités entraînent quantité de désagréments, mésaventures, pertes de temps, retards, énervements, douleurs, blessures ou autres agressions des sens, causés par l’utilisation de ces objets du quotidien dont on a parfois l’impression qu’ils mettent leur mauvaise volonté, voire leur hostilité, en travers de nos projets. Je soutiens que cette négligence des créateurs pour ces questions constitue une grave erreur, notamment de la part de ceux qui prétendent nous parler du monde et de la vie des hommes, parce qu’ils occultent ainsi une partie fondamentale de la condition humaine, comme si l’être humain n’était fait que d’idées, de sentiments et de désir sexuel, omettant allègrement tout ce qu’il lui faut et tout ce qu’il doit faire pour simplement manger, boire, dormir et faire ses besoins.
Certes, en parler est moins gratifiant que d’évoquer les infinis méandres de l’amour, les
fulgurances métaphysiques des philosophes, les visions des grands hommes d’Etat, l’héroïsme désespéré du soldat ou la noblesse épique du travailleur ; de même est-il plus plaisant de décrire les subtilités des nuances d’un paysage sublime, plutôt que la configuration d’une râpe à fromage qui vient entailler le doigt de son utilisateur.
Il n’empêche, la vie matérielle est prégnante dans nos vies, et même souvent décisive, et s’en libérer représente un désir qui anime bien des rêves. Car c’est une lutte, une lutte quotidienne contre la résistance permanente que ces objets nous opposent, qui amène à sérieusement se demander s’ils sont dotés d’une volonté propre. Par le truchement des objets, c’est la frontière entre le vivant et le non vivant qui se trouve questionnée.
C’est pourquoi la question de Lamartine dans son célèbre poème « Milly ou la terre natale » ne pouvait que m’interpeler : "Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » ; à l’issue d’une démonstration implacable, je réponds oui sans hésiter, c’est l’objet de la première partie du spectacle.
J’y illustre les grandes catégories d’avanies que les objets nous font subir : agressions systématiques, chutes incessantes, fonctionnement erratique, malédiction du bricolage, informatique qui rend fou, disparitions inopinées et réapparitions mystérieuses, tout cela est-il de notre fait ou du leur ? La physique quantique, la composition de l’univers, la disparition de l’antimatière, et le mouvement des atomes, montrent que « les objets ont une âme, puisque toutes leurs composantes sont animées dans un univers où tout est mouvement ».
Et non seulement les objets ont une âme, mais c’est une âme mauvaise, ainsi que
je le prouve ensuite : « Tout objet qui acquiert une once d’autonomie devient
potentiellement nuisible »
Je décris les conséquences désastreuses du moindre défaut de surveillance des choses, et leur nature mauvaise apparaît clairement : autodestruction, défi permanent à la loi de la pesanteur, déplacements inattendus, dissimulations, complots, tout concourt à démontrer la nature maléfique des objets. Et la seule voie pour éviter leurs néfastes agissements, c’est de les surveiller constamment quand on s’en sert, ce qui nous empêche de penser, rêver, et aimer librement et en toute quiétude, car « les objets profitent de la moindre inattention pour nous nuire ».
Ennemis de nos pensées, de nos rêveries, de nos sentiments, ne sont-ils pas, bien que nous les ayons créés, antinomiques avec la nature humaine ? C’est de cette interrogation existentielle que se nourrit la troisième partie du spectacle.
En effet, alors que l’invention de multiples objets pour satisfaire nos multiples besoins, est présentée comme l’une des caractéristiques de la supériorité humaine sur les animaux, je montre au contraire qu’elle en prouve l’infériorité, puisque les animaux peuvent se passer de tout ce qui nous est nécessaire pour survivre.
Et le pire, enfin, c’est que l’humanité se dirige vers un assujettissement toujours croissant aux objets. Ils prennent une apparence de plus en plus immatérielle, ils se déguisent en abstractions, mais cette dématérialisation est un leurre, la quantité de matériel nécessaire à la production de l'immatériel est énorme, et les objets sont en train de prendre le pouvoir car nous en sommes de plus en plus dépendants ; de plus, non contents d’abdiquer à leur profit une partie de notre réflexion, nous leur implantons notre intelligence !
Alors il faut résister, résister en cultivant notre intelligence humaine et notre sensibilité.
En tous cas, moi, je suis bien décidé à ne pas me laisser faire !